Les cartes postales de Grand-mère – Carte n° 5

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Carte n° 5

Transcription

Chèr Frère Nous voyons par ta lettre recue ce matin
que ton nouveau poste est tomber dans le seau
ce qui nous console c’est que tu en nait pas facher je
comprend pour toi que tu aime mieux avoir les nuits
je ne puis te donner de nouvelles de Jules, jen at tend
depuis le commencement du mois; Enfin jespère que
ca vat venir avec Jules c’est toujour de la pasience qui
faut surtout quand ont ne peu écrire soit même
j’ai recue une belle carte de Louise la semaine dernierre
pour me remercier dun grand vêtement gris à moi
que je lui ait envoyez par le chemin de fer en gare
Caudebec; elle me dit que Mr Leleu la trouve très bien
avec cà c’est bien d’etre admirez par sont patron;
cest bien louise; nos parents sont êpatez que voila 2
ans quel est dans une plasse il est vrait que pour
louise sa sort de l’ordinaire; je tent voie notre Eglise
sur cette vue tu vas reconaitre une amie la petite
mazurier c’est bien elle surtout comme pose
rien de nouveau a part que tu verra peu être des parisiennes
dici peu mais je le croirai quand elle seront partie de la
maison je tembrasse de loin; ta soeur qui taime M Constantin

Analyse

Cette carte est envoyée par Marie à son frère Victor. En quelle année je ne le sais pas mais sans doute pendant la guerre puisque Victor n’est pas chez lui à Mont-Saint-Aignan.

Elle parle d’un changement de poste pour Victor. Il fait désormais les nuits. Je suppose qu’il est toujours à Aubervilliers (voir billet sur la carte n° 2).

A ce moment, Marie n’a pas de nouvelles de Jules, mais elle semble dire que c’est habituel, et indique « surtout quand ont ne peu écrire soit même ». Or Jules sait écrire si l’on en croit la carte postale n° 3. Donc pourquoi Jules ne peut-il pas écrire ? Est-il blessé ?

C’est possible, sa fiche matricule indique une blessure pendant la guerre.

Une blessure au dos. Est-ce la raison de son incapacité à écrire. Peut-être. Dans ce cas cette carte a été écrite pendant l’été 1915.

Marie donne aussi des nouvelles de leur sœur Louise. Elle habite toujours à Caudebec puisque Marie lui envoie un colis par le chemin de fer en gare de Caudebec, et elle mentionne qu’elle a toujours le même poste depuis deux ans. Ce qui colle avec le fait que Louise y habitait déjà en 1913. Louise travaille chez Monsieur Leleu.

Marie s’étonne de la longévité de Louise dans son poste : deux ans cela semble être un record. Mais ce que Marie ne sait pas encore, c’est qu’en 1921, Louise travaillera toujours au même endroit !

Extrait du recensement de Caudebec-en-Caux en 1921 (AD 76 – 6 M 623)

Ce Monsieur Leleu est Auguste Leleu né en 1834 à Caudebec et marié à Eléonore Gabin à Paris en 1880. A la date de son mariage, Monsieur Leleu était maître d’hôtel. Il est probablement revenu à Caudebec pour la retraite entre 1891 et 1911. En tout cas il habitait déjà rue de l’Hospice en 1911. Il décède en 1922. Louise a alors dû changer de place puisque Monsieur Leleu était veuf à son décès et n’avait pas d’enfants. Je ne sais pas où elle est ensuite allée.

Extraite table décennale 1913-1932 de Caudebec-en-Caux (AD 76 – 4 E 6588)

Quant à la carte postale, elle représente l’église Saint-André. Il est écrit « Rouen » sur la carte mais en réalité cette église est à Mont-Saint-Aignan.

Elle est située tout près du 18 rue Mazurier.

Cette église est toute récente en 1915. En effet ce quartier est tout neuf. Dans la deuxième moitié du 19e siècle son urbanisation s’accélère, et à la fin du siècle il devient nécessaire de créer une nouvelle paroisse. Celle du Mont-aux-Malades étant surchargée par l’arrivée de nouveaux paroissiens. La décision de construire une nouvelle église est prise en 1894, et les travaux sont entrepris en 1895. Deux ans après a lieu la première messe, mais la construction n’est pas totalement terminée. Les travaux reprennent en 1899 et se terminent en 1900. L’archevêque de Rouen (déjà Monseigneur Fuzet, voir article précédent) bénit l’église le 8 août 1900. Cependant la paroisse Saint-André n’est créée qu’en 1922. Jusque-là l’église du même nom sera toujours sous la dépendance de celle du Mont-aux-Malades. Cette église a finalement donné son nom au quartier.

Et enfin Marie nous dit que la petite Mazurier est présente sur la carte postale. Qui est cette petite Mazurier ? S’il s’agit de la personne au premier plan à gauche, elle ne semble pas si petite que ça. Mais il faut bien voir que Marie a alors 35 ou 36 ans. Ou alors est-ce l’enfant de droite devant l’église ? Il y a sans doute bien évidemment un lien avec le nom de la rue. Mais je n’ai pas trouvé la famille Mazurier dans les recensements du début du siècle.

Et j’ai aussi fait choux-blanc concernant l’histoire de la rue. A l’époque elle est aussi très récente. Comme je l’ai dit dans le premier billet de cette série, la rue Mazurier ne comptait que 16 numéros en 1906. Mais en 1901, il n’y a que quatre maisons dans cette rue. Et en 1891, c’est simple, la rue n’existe même pas !

Dans le prochain billet nous verrons la carte n° 6.


Sources :

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